PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Lemu se promène dans le joli village d’Atlantis et profite du grand rassemblement qui se tiendra sur la place publique pour y apprendre les dernières nouvelles en attendant que les deux candidats au poste de Grand Superviseur fassent leur apparition. En attendant, Lemu visite un kiosque rempli de rouleaux de tissus de différentes couleurs que les Paysans peuvent échanger contre des meubles. C’est le seul comptoir d’échange appartenant aux Connients qui, soit dit en passant, sont d’excellents tisserands et de bien piètres menuisiers. C’est Lemu qui leur a suggéré ce comptoir pour ne pas qu’ils se brisent le cou sur leurs chaises qui réussissent parfois à résister miraculeusement quelques années. Les Paysans qui désirent obtenir des beaux tissus fabriquent donc des chaises et des tables à leur taille. Pour les lits, personne n’en fabrique sur cette planète où le mot « sommeil » n’existe pas car personne ne dort, donc les lits sont inutiles. Le Cœur royal guérit non seulement toutes les maladies et blessures, mais soigne aussi la fatigue. Par conséquent, les Arkariens peuvent dépenser beaucoup d’énergie sans en éprouver la moindre lassitude.

Il y a beaucoup d’animation en ce jour d’élection. Les deux candidats n’auront pas à faire de discours car contrairement à des politiciens qui promettent tout pour tenter de se faire élire, le système arkarien est si simple qu’il y de fortes chances pour que l’actuel Grand Superviseur conserve son poste pour un autre mandant de dix ans car les électeurs connaissent le dévouement et l’honnêteté d’Adamas. Le peuple reconnaît ses mérites, ses réalisations antérieures et son expérience, et il a l’humilité des grands au point où son poste ne lui a jamais donné de complexe de supériorité. C’est cela qui joue en sa faveur car on ne vote pas pour un candidat, mais sur sa réputation. Le seul concurrent d’Adamas est le plus grand administrateur du canton. Normalement cela devrait l’avantager et surtout prouver à ses concitoyens qu’il est le meilleur pour voir aux intérêts du peuple mais les Paysans ne l’aiment pas. Il faut dire que le fougueux Alba qui dirige les vastes vergers communautaires ainsi que les vignobles prend ses ouvriers pour des esclaves et se considère si important qu’il s’est lui-même accordé le titre de « seigneur fruitier. » Ceux qui travaillent pour lui sont unanimes à dire que son mauvais caractère est difficile à supporter d’autant plus qu’il semble accorder plus d’importance aux fruits qu’à ses ouvriers. Évidemment, comme aujourd’hui est un jour d’élection, Alba se montre d’une gentillesse mielleuse envers tous ceux qu’il rencontre au village mais personne ne s’y laisse prendre car on sait qu’Alba veut le poste de Grand Superviseur pour le prestige.

Lemu vient de visiter un kiosque où les galettes de riz au miel sont excellentes et lorsqu’il rencontrera ses jolies brebis Latnahc, il sait par expérience qu’elles n’hésiteront pas à venir manger dans sa main s’il leur offre cette sucrerie. Pendant qu’il en place quelques-unes dans son petit sac de berger qu’il conserve toujours à sa taille comme autrefois, celui-ci voit Myotis et Alba discuter discrètement devant un comptoir un peu en retrait. Alba tend la main en jetant un regard autour sans regarder un petit sac que le mutant dépose dans celle-ci. Puis, rapidement ceux-ci se séparent sans se saluer. Lemu est surprit de voir ces deux-là familiariser un peu trop à son goût et se doute qu’ils partagent un secret. Il n’aime pas du tout cela et se propose d’en toucher un mot à Dorgon dès qu’il connaîtra le résultat de l’élection. Il n’est pas étonné de voir Adamas récolter encore et Alba s’en retourner sans même féliciter son adversaire pour sa victoire.

Malgré son échec, Alba éprouve une satisfaction en serrant le petit sac dissimulé dans son vêtement qui contient une touffe de poils de Baa-Bouk. Myotis lui a suggéré de les éparpiller dans son épaisse chevelure. Ainsi, lorsque le monstre sera libéré de son enclos dans les prochains jours, il lui laissera la vie sauve dès qu’il aura humé sa propre odeur sur lui et sur tous ses autres adorateurs. En fait, Myotis a mijoté un plan parfait pour duper Dorgon et tous les ouvriers qui travaillent sur les murs. Comme il est impossible pour le monstre de retourner dans la vallée noire afin de récupérer son pouvoir, c’est la noirceur elle-même qui viendra à lui grâce aux bulles noires qui doivent d’abord semer leurs consœurs lumineuses très loin d’Arkara pour y revenir ensuite discrètement. Puis, elles profiteront du moment où les ouvriers vont casser la croûte un peu plus loin pour s’introduire de nouveau dans la grotte. Alors, deux bulles noires viendront se coller à la cornée des yeux du monstre pour que leur texture opaque noircie agisse comme un bandeau. Ainsi, il pourra sortir de la grotte librement en baissant la tête pour dissimuler leurs présences sur ses yeux. C’est sans avertissement qu’il défoncera la muraille pour aller détruire la pyramide en or. Il foncera pour l’ébranler jusqu’à ce que le joli Cœur royal chute en bas et l’écrasera aussitôt. Dès lors, son monde sans lumière redeviendra son royaume, lui, le Maître de la noirceur. En somme, son plan d’attaquer les trois sphères luminatisiennes n’était en fait qu’une diversion pour permettre à la moitié des bulles noires de fuir la planète en laissant leurs consœurs se faire massacrer.

Quant à Alba, celui-ci s’est mérité une touffe du monstre en dirigeant secrètement dix de ses ouvriers pour faire ce grand trou dans le mur de l’enclos. En fait, il a trompé ceux-ci en leur laissant croire que Myotis tenait à les remercier pour leur travail. Les pauvres ont obéi à leur patron en se disant qu’il allait peut-être se montrer moins arrogant envers eux s’ils démontraient de la bonne volonté. C’est donc craintivement qu’ils ont pénétré dans l’enclos du monstre sur les conseils du seigneur Alba qui les rassura en prétendant que le monstre était sagement dans sa grotte. Ce n’était pas Myotis qui les attendait derrière la caverne comme convenu mais Baa-Bouk lui-même, étendu de tout son long. Les yeux grands ouverts, il fixa les visiteurs et les envoûta d’un coup. Le seul à être volontaire pour cette séance était Alba debout parmi ses dix ouvriers. En sortant de l’antre de la bête, Myotis leur tendit les bras et les salua comme les premiers membres de la secte «Blanc et Noir » et se présenta en tant que Grand serviteur de Baa-Bouk. Il leur expliqua brièvement la signification du nom de cette secte secrète : le blanc représente le pouvoir que les membres du futur rechercheront d’obtenir que ce soit socialement, politiquement ou économiquement. Le noir représente la secte qui opère dans l’ombre. En somme, la secte Blanc et Noir prendra le contrôle de tout pour mieux guider les Arkariens vers l’autodestruction. Baa-Bouk possède à présent des outils nécessaires pour démolir progressivement le royaume du Cœur royal.

Entre-temps, Lemu informe Dorgon que Myotis et Alba semblent assez se connaître au point de se donner des objets. Le mutant à tête d’aigle sait à présent qui il doit soupçonner comme complice de Myotis. Cependant l’idée qu’il puisse en arriver à être mêler à cette histoire de trou dans la muraille de l’enclos, et le croire directement impliqué comme dévot de Baa-Bouk, le protecteur de la planète en doute car il croit que celui-ci est trop prudent pour en arriver là. Il va le questionner sur ses rapports amicaux avec Myotis et comme prévu, le seigneur fruitier lui demande subtilement s’il est interdit d’être en bon terme avec les mutants? Le ton utilisé par Alba alerte Dorgon qui décide tout de même de garder l’œil ouvert bien qu’il le croit innocent.

Réunis, Dorgon, Phardate, Lemu et Adiech discutent des derniers événements et ont le pressentiment que Myotis prépare un grand coup. Ils le sentent aussi certainement que des baromètres sont capables de prédire la température. En réalité, le plan de Myotis a de grandes chances de réussir sauf que le Maître du destin a décidé que cette planète ne redeviendra pas à nouveau le royaume de Baa-Bouk. En effet, pendant qu’ils discutent, Manuel regarde une projection du futur où on voit les bulles noires se rapprocher d’Arkara et tout ce qui arrive ensuite. Il voit cette scène et décide de l’effacer car il peut le changer en passant sa main devant cette image. Il connaît à présent les intentions des bulles noires et sait qu’il a le droit de changer le cours des événements s’il respecte la durée maximale prescrite par Chronos, le Maître du temps. Il écrit dans son livre magique et l’instant d’après, les trois dragons qui vivent toujours dans les marais s’élèvent dans le ciel dans le but d’aller se débarrasser des intruses qui viennent visiter Arkara. L’enfant a synchronisé leur arrivée au-dessus de l’enclos du monstre avec celle des bulles noires qui auront la surprise de leur vie car elles n’ont jamais prévu d’avoir à affronter ces trois adversaires de taille.

Dès leur arrivée, les dragons crachent leur flamme et font bouillir les bulles qui éclatent avec fracas et retombent ensuite dans l’enclos sous forme de pluie. Alerté par le bruit, Baa-Bouk sort en furie de sa grotte et se dresse sur ses pattes de derrière avec l’intention de mordre férocement ces volatiles de malheur qui ont osé s’attaquer à ses esclaves. Les dragons, quant à eux, se contentent de l’éviter en tournant autour de lui pour l’étourdir et bientôt la bête énorme démissionne et s’en retourne dans sa grotte pour essayer de digérer sa défaite pendant qu’ils s’éloignent car ils n’ont pas le mandat de combattre le prisonnier de l’enclos. Les ouvriers les regardent donc disparaître derrière les montagnes en n’éprouvant aucune crainte envers ceux qui habitent les marais situés à moins de dix kilomètres du village car ils font partie du décor depuis toujours. De mémoire, il semble qu’ils étaient là avant la naissance des Connients et des Paysans. Bien qu’ils soient de terribles combattants au besoin, ces monstres volants ne causent jamais d’ennuis sauf lorsqu’ils leur prend l’envie de se jucher sur le toit d’une maison. Mais personne n’osera les chasser car il est également très rare de voir ces volatiles battre des ailes au-dessus du village. Ils sont aussi considérés comme des héros porte-bonheur qui les défendraient contre les attaques de Baa-Bouk. D’ailleurs, Phardate ne tarit pas d’éloges envers le courage et la fidélité de ces dragons verts du marais. Leur dernière intervention dans l’enclos n’a fait que confirmer encore plus cette croyance.

Le jeune Maître du destin, penché sur son livre fantastique, n’a pas remarqué un épais nuage qui se forme tout près de lui pendant qu’il écrit. De cette fumée grisâtre se forme tout d’abord, une ombre évanescente et aléatoire très difficile à définir au début, car celle-ci change d’aspect constamment. Peu à peu, se dessinent les contours d’une figure d’enfant qui s’allongent et prennent fugitivement la forme d’un visage d’adolescent. Aussitôt, les lignent du visage se raffermissent, et la vision d’un homme adulte vieillissant à vue d’œil s’impose, car la peau se plisse et s’assèche comme celle d’un vieillard. Finalement, c’est l’effritement, et le crâne tombe en poussière. Le manège recommence plusieurs fois avant que Manuel salue le Maître du temps et se croise les bras en écoutant ce puissant personnage lui faire la morale. Chronos se lance dans son discours en lui faisant remarquer que les Olympus n’ont pas tous les droits bien qu’ils fassent partie de la famille des Immortels! Il le somme de lui expliquer pourquoi il a effacé les événements qui auraient dû normalement favoriser Baa-Bouk? Le jeune Maître du destin se dit qu’il n’a pas à lui fournir des explications et se contente de lui préciser qu’il a respecté le jeu des lois qui régit l’Univers, si cela peut le rassurer. Il faut dire que Chronos a tendance à jalouser les Olympus car il est voué à disparaître en même temps que son royaume. En fait, il gouverne un monde où tout ce qui existe finit toujours par se détruire avant de renaître sous la forme d’un nouveau monde. Alors, ce Maître est conscient de sa finalité, contrairement aux autres qui eux, sont issus du monde originel.

Débouté, Chronos retourne en fumée et laisse, pour ainsi dire, sa carte d’affaire que l’enfant Manuel aperçoit sur le sol. Il ramasse en souriant, un petit sablier qu’il dépose ensuite sur un tas d’articles que son jeune frère Perlin a rapporté de ses nombreux voyages astraux. En effet, la fée Marianne a pour habitude de lui confisquer tous ces objets qu’elle remet par la suite, à son grand frère qui préfère les conserver en attendant que Perlin soit assez grand pour en prendre soin. Le bambin a déjà rapporté pleins d’articles dont les origines demeurent aussi inconnues que sa dernière trouvaille, est un hochet d’enfant. Le plus cocasse dans tout ça, c’est que lorsqu’il revient de ses transes, il ne peut expliquer la provenance d’un objet dans sa main.

La tentative d’évasion avortée de Baa-Bouk oblige le jeune Maître du destin à songer à protéger le Cœur royal. Au milieu de tous, le jeune souverain est naïf et encore très candide. Il est devenu surtout plus fragile depuis que les Luminatisiens ne sont plus là pour le seconder et le protéger sur une planète où la noirceur d’un monstre menace l’extinction de tout un peuple. Alors, il serait mieux de mettre en place un système de surveillance car il est impensable de prendre le risque d’avoir à vivre dans une nuit perpétuelle comme jadis. Il faut pas oublier que la planète doit sa clarté permanente grâce au Cœur fantastique qui se contente de tourner sur lui-même, lentement en projetant une lumière allant d’une brillance plus intense le matin, et s’atténuant doucement plus le jour avance vers le soir. Cette façon de faire du jeune souverain permet aux Arkariens de se situer. Ainsi, ils peuvent savoir s’ils sont le matin, le midi ou le soir. Toutefois, comme le jour ne doit jamais s’éteindre complètement à cause des pouvoir du monstre, cette lumière permanente a l’inconvénient de ne pas permettre au peuple de voir le firmament qui leur montrerait l’ensemble des planètes dont la Lune et la Terre. Donc, contrairement aux Terriens qui, en observant les étoiles se questionnent sur d’autres réalités en espérant qu’ailleurs la vie est plus facile, le confort apporté par le Cœur royal a endormi l’instinct de survie qui sommeille en chaque humain. Celle-ci ne s’éveille qu’en surface avec la peur envers Baa-Bouk mais encore là, l’ensemble de la population se sent protégée par les dirigeants comme le feraient des enfants rassurés et satisfaits. En fait, cette attitude empêche les Arkariens aussi, de projeter leur regard au-delà de leur ciel et sont semblables à des habitants perdus sur une île qui ne se questionnent jamais sur d’autres mondes où les valeurs pourraient être différentes. Pour eux, tout ce qui existe doit ressembler à leur image qu’ils considèrent parfaite. Un visiteur venu d’ailleurs constaterait sûrement que ce peuple est complètement déconnecté du reste de l’univers, et ceux qui tenteraient de changer leur mentalité feraient face à un mur d’indifférence provoqué par l’inconscience.

Dorgon, étant le protecteur d’Arkara, organise discrètement la surveillance du Cœur royal. Dès lors, il propose à ses amis de créer un périmètre de sécurité autour de la pyramide en or. Alors, le jeune Manuel mandate Phardate pour tracer, avec ses joyeux petits nains, un cercle invisible qui possédera les mêmes vertus que celui qui existe déjà dans leur petit village. Lorsque Dorgon demande à Phardate comment il arrive à créer ce feu invisible, il lui dit n’obéir qu’au pouvoir du jeune Maître du destin qui a dessiné la pyramide dans son livre et tracé un cercle autour de celle-ci en écrivant ensuite qu’il s’agit d’un feu invisible. Le peuple croira qu’il ne faudra jamais dépasser le périmètre de sécurité situé à trois cent mètres de la Tour à cause de l’énergie du Cœur royal trop intense pour eux. En réalité, la lumière de celui-ci ne dégage aucune chaleur mais, cette explication suffira pour maintenir à distance les fidèles de Baa-Bouk.

Étant à présent mieux isolée, la tour pyramidale est devenue l’endroit idéal pour y tenir certaines réunions, et servira surtout à entreposer les documents importants. Adiech est approché pour former quelques compagnons triés sur le volet. Ceux-ci devront pratiquer un passage secret sous la pyramide. L’entrée sera dans la forêt entourant le Cœur royal. Le tunnel passera ensuite sous la zone protégée et débouchera enfin dans les vastes galeries situées sous la pyramide en or. Ce travail ardu prendra beaucoup de temps pour se réaliser vu son caractère délicat. Pendant ce temps, Phardate accepte d’enseigner à ses amis comment traverser les objets sans les abîmer puisque l’entrée secrète devra se trouver justement dans le rocher devant lequel un sentier semble s’arrêter. Selon le chef des Croucounains, il faut apprendre à suivre le mouvement contraire d’un atome pour parvenir à le contourner. Il explique cela en comparant l’espace entre deux atomes à des galeries étroites par lesquelles un voyageur peut traverser sans déranger la position initiale des atomes en mouvements perpétuels. Alors, s’il voit que les atomes sont en mouvements ascendants, il peut traverser en pratiquant le mouvement contraire, donc vers le bas. Ainsi, il ne rencontrera aucune résistance et pourra dès lors, passer à travers l’objet sans danger puisque celui-ci est constitué uniquement d’atomes. Le jeu consiste à se synchroniser avec les éléments pour éviter justement de passer en même temps qu’un autre atome. C’est là qu’intervient la canalisation de l’énergie dégagée par le corps du voyageur. Elle agit un peu comme si un aimant rassemblait en bloc tous les atomes qui auront traverser ensemble un objet en même temps. Cela se produit dans une fraction de seconde. Ainsi, ils ne risquent pas de se perdre et cette traversée ne laisse aucune empreinte dans la matière qu’elle a pourtant transpercée logiquement. Au début, seul Dorgon parvint à réaliser ce prodige car il avait été formé par des scientifiques luminatisiens qui utilisent déjà la pensée créatrice. Par conséquent, le mutant possédait déjà une certaine maîtrise des pouvoirs de son cerveau qui lui a permis d’y parvenir dès le premier essai. Pour Lemu, l’expérience ne s’est pas passée aussi facilement car il s’est cassé le nez la première fois qu’il a tenté de pénétrer dans ce rocher et sa foi inébranlable en Phardate en a pris un rude coup. Adiech lui, y parvint dès sa deuxième tentative.

Quelques petits incidents anodins indiquent qu’il faudrait songer à protéger les nombreux curieux qui essaient de s’approcher de la tour en or. Dorgon veut y placer un gardien dont la tâche première sera de s’assurer que personne ne traverse le cercle invisible. Il devra également voir à l’entretien de la pyramide. Il aura lui aussi, à utiliser le pouvoir de traverser sans se brûler et s’attirera ainsi, le respect des visiteurs même s’ils verront en lui l’humble serviteur du Cœur fantastique. Le gardien devra lui aussi connaître l’existence du passage secret qui mène sous la pyramide. Donc, sa surveillance sera complète car il pourra ainsi surprendre tout rôdeur qui cherche à s’y introduire. Adiech propose alors son bon ami Colombin, le jeune jardinier, reconnaissant en lui tout ce qu’il faut pour devenir le meilleur candidat à ce poste. Son amour inconditionnel pour le Cœur royal est si intense que même les pires menaces ne sauront l’empêcher de sacrifier sa vie pour lui. Phardate s’amuse à dire qu’un jardinier est bien « cultivé », ce qui fait bien rire ses compagnons! Lui aussi a confiance en cet homme qu’il a rencontré à plusieurs reprises en compagnie de son ami. Dorgon se joint à eux et accepte la nomination de Colombin.

Dorgon croit qu’il ne reste plus que deux autres endroits stratégiques à renforcer par la surveillance; il y a évidemment l’enclos du monstre Baa-Bouk, et les trois boules de cristal luminatisiennes. Adiech suggère qu’il serait plus simple de confier cette tâche à certains ouvriers qu’il compte sélectionner beaucoup plus soigneusement pour ce travail au lieu d’y placer des gardiens. Il croit que ceux-ci risqueraient d’attirer l’attention sur eux, et seraient ainsi plus vulnérables. Son idée est adoptée. Pour ce qui est des boules luminatisiennes, il avoue ignorer la meilleure façon d’assurer leur sécurité.

La dernière tentative du monstre oblige Adiech à évaluer sérieusement l’intégrité de ceux qui travaillent à remonter la muraille. Bien sûr, ceux-ci ont démontré qu’ils sont d’excellents maçons. Ils servent aussi d’exemple à suivre car ils ont en eux cette détermination patiente, d’élever une muraille qui ne sera jamais terminée, sans jamais se décourager ni perdre de leur vigilance, car ils sont conscients que la sécurité du peuple repose entre leurs mains. Il admire ses compagnons de travail et voudrait pouvoir les équiper d’outils spirituels qui leur donneront une place privilégiée au sein de la communauté arkarienne. Il veut d’ailleurs que le peuple reconnaisse en eux qu’il n’est pas suffisant de savoir tailler la pierre et la joindre à une autre pour être en droit de prétendre pratiquer ce noble métier. Ce jeune sage et visionnaire voit le danger qui menace les ouvriers. Il est primordial d’éviter que ceux-ci se laissent corrompre par ceux qui tenteront d’obtenir leur complicité afin de s’introduire clandestinement dans l’enclos de Baa-Bouk. Il sent qu’il n’est pas loin ce temps où des hypocrites tenteront de se faire engager comme ouvriers pour semer la discorde entre les travailleurs et ainsi retarder les travaux. Il s’amuse sur les mots en précisant avec aigreur, qu’un maçon menteur peut devenir aussi habile avec un mur qu’un franc maçon. De plus, comment peut-on distinguer un ouvrier mal intentionné parmi les autres, à moins de savoir lire au fond de son cœur avec clarté? Il continue son discours philosophique en ajoutant qu’il existe beaucoup plus d’outils pour bâtir un mur extérieur contre le monstre noir bien visible, mais constate aussi que peu d’outils existent pour se bâtir un mur de protection intérieur contre les attaques des sots et des orgueilleux que ce même monstre contrôle! Seul un ouvrier qui aura appris à se servir de tels outils est le meilleur gardien possible contre Myotis et les ennemis du Cœur royal.

Adiech décide d’initier les ouvriers au développement d’un état de conscience qui gardera leur esprit en éveil pour éviter le risque de tomber dans les nombreux pièges de ceux qui chercheront à les corrompre. Il réclame la participation de ses amis afin qu’ils contribuent eux aussi, à leur enseigner une foule de sciences en ce sens : il songe à Phardate pour l’histoire de son peuple, et à Lemu en ce qui concerne les Connients. Il est essentiel d’éveiller leur esprit dans la vérité de plusieurs connaissances, et ainsi les protéger contre l’ignorance qui maintient l’état d’inconscience. Alors, ils pourront analyser une situation en regardant au-delà des apparences, sans juger. Ainsi, ils demeureront ouverts à tout, accepteront les différences, et sauront même respecter les opinions qui varient de leurs propres croyances. Il encourage également le développement d’une solidarité qui apportera non seulement la force d’une collectivité, mais l’assurance que l’intention ne vise pas l’intérêt d’un seul individu mais sera le résultat d’une vision élargie et confirmée; tant et aussi longtemps qu’un ouvrier sera solidaire à ses pairs, il saura toujours quoi répondre à celui qui cherche à lui flatter ses ambitions personnelles. Cette vérité, les Connients l’ont comprise malgré leur simplicité car ils ont partagé beaucoup de souffrance ensembles.

Adiech vient de créer l’Ordre des Grands-Prêtres. Même si ses membres sont religieux dans le sens qu’ils témoignent d’une véritable ferveur loyale envers le Cœur royal, ils sont surtout une communauté où la liberté de pensée n’est pas contrôlée que par la multitude de connaissances des scientifiques, des philosophes, d’historiens et d’ouvriers. Le Grand-Prêtre est tout simplement un Initié qui s’intéresse à tout, et possède surtout des connaissances se rapportant aux sciences luminatisiennes, djinardiennes et même terriennes. Car Primus Tasal est inclus parmi ces Initiés même s’il n’occupe qu’une place symbolique dans l’Ordre des Grands-Prêtres. Ceux-ci reconnaissent la valeur de ses connaissances, et son dévouement envers les Terriens qu’il tente de protéger du mieux qu’il peut. Par conséquent, Phardate lui a assigné une place autour de la table secrète située sous la pyramide en or. L’ordre est composé de Dorgon, Adiech, Phardate, Lemu et par les centaines d’ouvriers. Le Cœur royal et le jeune Maître du destin occupent également une place symbolique autour de cette grande table faite d’émeraudes.

Dorgon peut à présent songer à poursuivre son initiation. L’héritage qu’il a reçu des Luminatisiens est là pour remplacer ses Maîtres qu’il ne reverra peut-être jamais plus. Un jour, il s’introduit dans la plus haute des trois boules géantes et ne semble pas du tout surpris de n’y trouver qu’un bassin au centre de la sphère. Il sait ce qu’il fait lorsqu’il s’introduit jusqu’au cou dans cette eau cristalline ayant la texture du mercure. Il ferme les yeux et se laisse transporter mentalement dans un univers où rien n’existe vraiment en matière palpable. C’est le monde des créations. C’est là que les Luminatisiens puisent leurs connaissances puisque seule la pensée a le pouvoir d’agir sur la matière abstraite qu’il suffit de modifier par un acte de volonté et celle-ci se modifie concrètement. Dorgon sait qu’il vient de s’introduire dans une dimension de la pensée créative. Il pense alors à la montagne sur laquelle reposent les boules de cristal et s’amuse à l’imaginer recouverte de givre aussi pur que le cristal qu’il a déjà vu sur la planète Luminatis. Il poursuit son exercice mental en voyant un immense fossé autour de la montagne. Il se dit qu’il faut décourager les curieux qui voudraient s’approcher des sphères luminatisiennes sans autorisation. Alors, il pense à des serpents ailés qui montent et descendent en permanence dans le fossé. Ils sont vraiment énormes et leurs écailles miroitent sur les parois de la montagne. Ils doivent garder le trésor sans le quitter des yeux un seul instant. Lorsque le mutant sort de la sphère, il voit ces deux serpents qui risquent de l’attraper s’il ose traverser le ravin. Heureusement pour lui, il n’aura pas à le franchir puisqu’il possède son navire volant. Donc, dorénavant, c’est uniquement avec des ailes ou dans un engin volant qu’il sera possible de se rendre sur le Mont Bellapar. C’est ainsi que Dorgon vient de nommer cette montagne givrée, au sommet de laquelle reposent Aura, Airofix et Bellapar. La boule du bas est remplie d’eau, celle du centre contient de l’air et la plus haute est celle qui conserve les secrets des Luminatisiens. Ceux-ci sont désormais si difficiles d’accès que même dans le cas où un intrus parviendrait à déjouer la vigilance des serpents protecteurs, il réalisera très vite qu’il n’existe pas d’escalier pour se rendre au pied de la plus haute des sphères. En somme, Aura et Airofix servent non seulement de supports à Bellapar, mais la protègent également. Il faut donc pouvoir atteindre par ses propres moyens le sommet de la deuxième boule de cristal avant de découvrir ensuite, l’escalier pyramidal qui conduit sur le palier de Bellapar.

Myotis et Alba réalisent parfaitement que Dorgon prend son rôle de protecteur de la planète vraiment à cœur en s’assurant de bien protéger tous les secteurs où la secte « Blanc et Noir » serait tentée d’y semer du trouble. Myotis avertit son ami qu’il doit faire encore plus du recrutement de plusieurs fidèles. Puisque cela devient impossible de délivrer Baa-Bouk, ses nombreux dévots vont pousser le Cœur royal à perdre son royaume. Pour cela, il faudra diviser le peuple en l’encourageant à glisser de plus en plus dans l’ignorance. Les religieux ne rencontreront finalement que des sourdes oreilles comme auditoire si l’avantage ne semble pas apparent. Le mutant à tête de bouc se dit qu’il sera plus facile de manipuler une masse d’ignorants si on flatte la facilité. Il faudra surtout l’illusionner pour lui faire perdre progressivement son esprit communautaire en suscitant la jalousie qui engendre la division. Myotis veut des fidèles mais considère superflu de perdre du temps à recruter des volontaires. Il remet à Alba une touffe de poils de la bête qu’il conserve depuis l’époque où le monstre vivait dans son enclos temporaire. C’est Baa-Bouk lui-même qui lui a demandé de lui arracher une touffe noire et de la frotter d’abord, sur sa gueule pour la mouiller de sa bave, et ensuite sur ses paupières salées. Selon le mutant, il suffit de mettre discrètement dans la chevelure de quelqu’un un seul poil du monstre pour l’envoûter temporairement.

Il demande à Alba d’expérimenter l’envoûtement sur quatre paysans de son choix, et de leur donner ensuite, l’ordre de se rendre dans la caverne du vieux chêne. Le seigneur fruitier connaît très bien cet endroit où un immense chêne est pétrifié depuis l’époque du génocide des Djinardiens. Ce spectre ressemble étrangement à un vieil homme courbé transformé en arbre. L’une de ses branches se dresse devant la grotte comme pour indiquer qu’il y a quelque chose à l’intérieur. Le visiteur va y trouver le squelette d’un jeune enfant dans un coin de celle-ci. Il s’agit d’un nourrisson dont le décès remonte à l’époque où les géants primordiaux peuplaient cette planète. À voir la taille de ce jeune enfant dont le petit doigt est de la taille d’un paysan adulte, on peut imaginer la grandeur des parents de ce nouveau-né? Myotis décide de rencontrer les victimes dans cette grotte. Alba lui demande à tout hasard quelles sont ses intentions. L’autre lui répond froidement qu’il faut vérifier l’efficacité de cette forme d’envoûtement avant de l’utiliser sur une plus grande échelle.

Tout comme son ami Myotis, le seigneur Alba ne prend jamais de risques inutiles qui pourraient le compromettre. Il rassemble discrètement ses fidèles et demande à quatre d’entre eux de tendre la main droite devant lui. Il introduit un poil de la bête sous l’un des ongles de chacun. Il donne ensuite ses instructions en disant qu’ils devront d’abord se mêler à la petite foule sur la place publique et ensuite, d’un geste amical, ils poseront leur main droite sur la tête d’un paysan. Alba laisse à chacun le soin de choisir sa victime. En frottant la chevelure de celle-ci, le poil va se coller aux cheveux sans que personne ne s’en aperçoive. Lorsque les quatre élus démontreront une légèrement confusion, il faudra leur dire à l’oreille de se rendre à la grotte du vieux chêne. Si l’envoûtement fonctionne bien, il ne sera pas nécessaire de les suivre jusque là. C’est même plus prudent de ne pas se faire voir auprès des possédés se dirigeant vers cette grotte. Alba ignore que ses fidèles vont choisir quatre enfants puisqu’il est plus facile pour eux de placer leur main sur une tête d’enfant dans un geste amical que de le faire sur celle d’un adulte. Il ne se doute pas que les véritables intentions de Myotis sont de pouvoir se nourrir de chairs fraîches. Le plan fonctionne à merveille puisque les quatre jeunes paysans sortent du village d’Atlantis sans expliquer à personne où ils vont exactement. Ils marchent d’un pas paresseux en fixant le sentier en silence. Ils ignorent même pourquoi la grotte du vieux chêne les attire autant. Heureusement pour eux, ils rencontrent un cortège de joyeux Croucounains qui les saluent en passant. Puisque les jeunes envoûtés poursuivent leur chemin sans rendre la politesse, le plus petit des bonshommes qui mesure uniquement dix centimètres de haut s’élance telle une puce et saute sur la tête de l’un des distraits. Son intention est de se descendre jusqu’à l’oreille du garçon pour lui demander s’il a entendu les salutations de ses confrères mais il détecte une odeur qui est loin de lui être inconnue. Il fouille les cheveux et retire rapidement le poil suspect. Il saute sur le sol. Lorsque ses amis voient ce qu’il vient de trouver, ils s’empressent de jeter les trois autres bambins par terre et les délivrent de ce qui trouble leur raison. Les jeunes Paysans reviennent à eux, tous surpris de se trouver à cet endroit car ils ne se souviennent pas d’être sorti du village. Les Croucounains préfèrent les reconduire en personne chez leurs parents avant d’aller faire leur rapport à leur chef. Phardate secoue tristement la tête en se demandant ce que faisaient ces quatre garçons sur ce sentier? Il sait qu’ils ont été envoûtés par quelqu’un qui aura encore un bon prétexte pour nier les faits si on l’interroge à cet effet. En ce qui concerne la secte « Blanc et Noir », même si Myotis devra se contenter de manger des légumes pour un temps, Dorgon et ses amis savent à présent que même les enfants peuvent potentiellement devenir des victimes de cette maudite secte.

Tous les Paysans et les Connients ont le nez pointé vers le ciel et sourient en examinant des petites étoiles amusantes suivre les enfants comme des taches blanches. Le Cœur royal vient de trouver une jolie façon de retracer rapidement les enfants. Chaque étoile est distincte, donc unique. On en voit en forme de fleurs de toutes sortes, alors que d’autres ressemblent à différents animaux. On peut également y remarquer des étoiles en forme d’objets et de jouets. Elles décorent le ciel en plein jour sans demeurer longtemps au même endroit puisqu’elles accompagnent leurs jeunes protégés partout où ils s’aventurent dans le canton d’Atlantis. Parfois, on voit un joli dessin céleste réalisé par les enfants rassemblés dans un champ car ceux-ci s’amusent à prendre une certaine position et se déplacent au besoin en se fiant au dessin qui se forme dans le ciel. Ce sont les renards qui ont reçu la tâche de surveiller discrètement les enfants en examinant souvent le ciel. S’ils remarquent qu’une étoile se dirige vers l’enclos de Baa-Bouk ou bien dans un endroit que les enfants ne fréquentent pas normalement, ils avertissent aussitôt un Paysan ou un Grand-Prêtre. Les parents aiment bien ces petites étoiles qui les dirigent directement vers leurs petits amours lorsque ceux-ci oublient de rentrer à la maison.

Deux énormes tortues nagent dans la rivière Eméraudia. Les Grands-Prêtres scientifiques savent bien que des mammifères de cette taille n’existent pas sur Arkara et ils ont bien raison. Primus Tasal veut attirer l’attention des Arkariens pour qu’ils s’intéressent davantage aux Terriens. Puisque ce singe peut voyager partout à travers l’Histoire terrestre, il a attiré ces grosses tortues de l’époque jurassique dans une spirale lumineuse qui possède les mêmes attributs qu’un couloir intemporel. Ce singe est un véritable génie pour avoir réussi à créer cet anneau fantastique qui lui sert simplement de portail entre deux époques ou deux dimensions. Le petit protecteur de la Terre est passé maître dans l’art de voyager partout sur sa planète en défiant le temps. Primus a fait présent des grosses tortues qui vont se multiplier avec le temps. Il dépose aussi bientôt devant un arbre situé sur le bord d’une route, une jolie canne en or ornée d’un poisson. C’est Lemu qui la découvre et la conserve pour marcher. Il ignore pourtant que sa canne est celle d’un puissant pharaon. Le singe a déjà remis un casque de chevalier à un Connient, ou peut-être même l’a-t-il échangé contre une gomme à bulle… qui sait? Il a également donné à une fillette une petite réplique de la tour Effel ce qui prouve qu’il a décidé d’être vu plus souvent afin d’habituer les Arkariens à s’attendre à sa présence. Un jour, il a semé discrètement les premières graines de maïs sur cette planète puisque les épis de blé d’inde étaient encore inconnus sur Arkara. Il a également déposé une pierre tombale devant l’entrée de la grotte du vieux chêne par respect pour l’enfant qui repose à cet endroit depuis l’époque des géants primordiaux. Personne n’est surpris à présent, des cadeaux que laisse ce petit singe un peu partout. Les plus amusants sont sans contredit, deux bas du Père Noël qu’il a accroché à la branche d’un arbre. Deux joyeux conteurs du pays les portent fièrement en guise de bonnets et Primus n’a pas du tout envie de leur expliquer que des bas servent à couvrir les pieds et non la tête. Il faut tout de même pardonner l’ignorance de ces conteurs puisque personne ne porte de bas sur cette planète.

Le seul à mépriser Primus Tasal est le seigneur Alba. Le singe s’est attiré volontairement la colère de celui-ci lorsqu’il déposa devant sa porte une petite statue du Moyen âge qui représente un affreux diable aux cornes recourbées comme celles de Myotis. Le seigneur fruitier y vit évidemment une allusion concernant sa relation avec ce mutant. Il est clair que Primus connaît par conséquent la nature d’Alba puisque c’est justement devant sa porte qu’il a daigné déposer cette figurine monstrueuse. Le singe sait qu’il doit tout de même demeurer sur ses gardes depuis que la secte « Blanc et Noir » tente de l’attraper. C’est la raison pour laquelle sa visite est toujours brève et discrète lorsqu’il vient se promener sur Arkara. Primus connaît déjà le mal que cette secte fera sur Terre dans le futur. Ainsi, on serait tenté de croire qu’il pourrait toujours intervenir pour changer les événements mais cela lui est interdit. Justement, la pire souffrance pour ce singe est de connaître l’avenir de ses Terriens chéris, et de n’avoir aucun pouvoir de le modifier. Contrairement à un visionnaire qui se limite à deviner des événements futurs, Primus Tasal se promène partout en vivant ces instants du passé ou l’avenir comme un étranger. Il fait semblant d’ignorer qu’Alba est la personnification du diable sur Arkara. Le monstre visible est Baa-Bouk mais contrairement à son Maître, le seigneur fruitier vit en liberté. Même le mutant Myotis dans sa méchanceté héritée de son ignorance et nature animale, est loin de s’imaginer que son ami Alba va devenir un jour le Maître du mal dès que la secte « Blanc et Noir » prendra de l’expansion, non pas sur Arkara comme tel, mais sur Terre. Ce n’est pas sans raison que Primus lui a offert déjà une statuette qui symbolise la force de la folie destructrice qui vit dans le cœur de l’Homme.

Aujourd’hui est un grand jour de fête au village des Croucounains du fait que Phardate vient d’être honoré d’un titre que lui-même n’aurait jamais oser imaginer tellement cela lui semble si improbable. En effet, le Cœur royal lui accorde le privilège de pratiquer le rituel de la naissance en tant que représentant du puissant Absou, Maître du feu de la Vie. Un tel honneur dépasse tellement son entendement qu’il va consulter le jeune Maître du destin. Celui-ci lui dit qu’il mérite de recevoir ce pouvoir de servir d’intermédiaire entre Absou et le Cœur royal pour ce qui est d’autoriser une entité à pénétrer dans le corps d’un nouveau-né. Normalement, c’est le Maître du feu de la Vie qui accomplit ce prodige à chaque fois que le Cœur royal fait naître un nouveau Paysan. Manuel ajoute qu’il n’est pas surpris par sa nomination puisqu’il connaît la grandeur d’âme de son bon ami Phardate. Tout de même, le Croucounain éprouve une terrible gêne à l’idée d’être devenu le représentant du plus puissant Maître de l’univers. Il sait fort bien que le feu sacré des Djinardiens était déjà un présent de Celui qui crée la Vie. Très ému, ce grand personnage pleure de joie et l’enfant Manuel place alors délicatement ses mains sur ses paupières mouillées pour sceller cet accord, et lui prouver qu’il doit représenter Absou sur Arkara. Phardate plonge dans un état semblable à la transe et voit un feu qui semble émerger d’une douce lumière; il en est pour ainsi dire l’étincelle. Il s’allume et la Vie prend forme. Le nain voit apparaître ensuite un jardin merveilleux et sourit en découvrant un rosier; il sait à présent que sa jolie rose Filfaloso provient de ce jardin privé de la Mère Lumière. Alors, une voix explique au visiteur que même si l’ombre et la lumière coexistent en formant un couple désuni, le véritable époux de la Lumière est le Feu secret qui donne Vie à toutes choses. La douce voix ajoute que la Mère Lumière lui a déjà offert une rose de son jardin, et à présent son époux lui offre les deux anneaux qui déterminent le sexe d’un enfant. Phardate sent une force inconnue qui l’incite à tendre ses petits bras devant lui. Un anneau de feu vient se placer dans l’index de sa main gauche et un autre en fait autant dans sa main droite. Puis, le Croucounain ouvre les yeux devant Manuel qui lui sourit en lui demandant de s’examiner les mains. Phardate voit de véritables anneaux d’or rouge; ils sont uniques et magiques.

Depuis que Phardate est devenu l’intermédiaire du Maître Absou, les jeunes époux se présentent en grand nombre au village des Croucounains en lui demandant de leur offrir un enfant pour le chérir comme parents. Fait étrange, cet enfant leur ressemblera autant que s’il avait été conçu génétiquement. Le rituel est toujours le même : le couple s’agenouille devant l’officiant en se tenant par la main pendant que celui-ci leur demande s’ils désirent un garçon ou une fille. Phardate pose ensuite sa main gauche ou droite sur leur tête selon le choix des futurs parents, et leur demande ensuite quel nom devra porter leur enfant. C’est à ce moment que l’officiant démontre la présence d’Absou en faisant apparaître une petite flamme au-dessus du couple qui est aussitôt secoué de violents tremblements car ce feu agit en eux exactement comme une énergie capable de saisir leurs traits de caractère, leurs sentiments et même leurs talents naturels. Phardate est le seul à voir cependant l’étrange aura se former autour du couple. Cette lumière est finalement le moule qui va servir à former les traits physiques du futur enfant. Des Croucounains conduisent alors les futurs parents dans un champ et débutent le travail de transformation. Ils enveloppent entièrement le couple avec des bandelettes mouillées. Elles durcissent rapidement comme du plâtre. Les parents sont ainsi enfermés pendant qu’ils sont enlacés et s’échangent un baiser. Tous leurs sens sont coupés de l’extérieur jusqu’au moment où les nains séparent le moule en deux et les libèrent. Puis, ils s’empressent de refermer immédiatement ce cocon qui conservera ainsi, l’empreinte physique des parents et même l’énergie de leur aura. Ils gardent juste une légère fente dans le moule en pratiquant une incision sur le crâne mâle ou femelle selon la demande. Ils remplissent ensuite la momie d’un mélange d’eau mêlée à du djinardin et vont finalement placer celle-ci devant la tour en or. Le Cœur fantastique baignera bientôt ce cocon qui devient transparent comme le cristal devant les parents excités par la naissance de leur enfant. L’enveloppe cristalline fond lentement et un nouvel Arkarien vient de naître en ayant déjà l’apparence d’un enfant de sept ans.

Alba et ses fidèles parviennent peu à peu à leur fin car le peuple se laisse manipuler trop facilement par eux. Très rapidement, les Grands-Prêtres sont vite considérés à tort comme des bergers qui veulent contrôler un troupeau de brebis. Il est vrai que de leur côté, ceux-ci insistent beaucoup sur l’importance de l’instruction car ils sont inquiets de constater la tournure des événements, sauf que les enfants préfèrent jouer plutôt que d’aller s’asseoir dans un pré pour écouter les leçons du maître. Les adultes eux, ne sont pas intéressés par ce qui existait sur leur planète avant leur naissance. Ils ne réagissent même pas lorsque les Grands-Prêtres tentent de leur expliquer que les Connients vivent un certain temps avant de disparaître. Le peuple a peur d’aborder tout ce qui se rapporte à la mort, et les Paysans préfèrent se tenir loin de ceux qui cherchent à leur en faire prendre conscience. Ils préfèrent considérer la mort comme un mythe et se ferment donc à toute forme de communication sur ce sujet. Les Grands-Prêtres ont cessé même d’en parler depuis qu’ils ont réalisé que les Paysans prennent leur distance avec ces braves géants dont la vue les ramène trop à une réalité qu’ils préfèrent ne pas connaître. Alba a aussi renforcé leur dénie en prétendant à ceux qui voulaient l’entendre, que les Grands-Prêtres mentent lorsqu’ils prétendent que la mort existe pour les Paysans. Et en fait, personne n’a encore jamais perdu un être cher dans cette communauté arkarienne. Un autre fait les encourage à fuir cette vérité puisque le Cœur royal guérit toutes les maladies et maintient même les vieillards en parfaite santé. Par conséquent, les arguments d’Alba répondent aux attentes des Paysans et les rassurent dans leurs illusions. Et pourtant, la mort est présente car les Connients meurent et même certains animaux qui en font autant lorsque les Grands-Prêtres obtiennent du Cœur royal de cesser de les guérir lorsqu’ils désirent quitter leur corps. Il arrive également un point culminant dans le cheminement spirituel des religieux où ils doivent quitter leur corps pour atteindre un autre niveau de conscience et de croissance en tant qu’Entité. Dans un tel cas, le Souverain laisse la vieillesse emporter ces Grands-Prêtres qui poursuivent ensuite leur vie sans leur corps physique. Ils deviennent alors des « Grands-Maîtres » du Mont Bellapar et leur énergie vitale est cristallisée dans un glaçon. Leur demeure est justement la grosse sphère luminatisienne qui porte le nom de Bellapar. La puissance de ces Maîtres est remarquable puisque les Grands-Prêtres les utilisent comme des baguettes magiques. Il arrive au peuple de voir à l’occasion ces êtres lumineux qu’ils prennent pour des extra-terrestres même si les Grands-Prêtres expliquent honnêtement que ces énergies sont le fruit d’une évolution où chaque être est destiné à atteindre un jour ou l’autre comme Entité mais cela dépasse l’entendement du peuple qui a développé une méfiance instinctive envers tout ce qu’il n’arrive pas à comprendre.

Depuis que les Grands-Prêtres se promènent avec des glaçons magiques, les fidèles du monstre Baa-Bouk ont tenté de s’en emparer à quelques reprises. Ils envient les religieux qui arrivent à se rendre invisibles, traverser des murs et même pratiquer la lévitation grâce à ces précieux glaçons. Cela leur permet surtout de se rendre dans la caverne de la bête noire sans se faire remarquer. Voyant la réaction des jaloux, le Cœur royal a pris l’initiative de protéger les Grands-Prêtres avec une petite étoile qu’ils portent au sommet de leurs chapeaux triangulaires comme la jolie pyramide. Cette étoile en cristal possède les mêmes pouvoirs que la fameuse patte de Dorgon. Ceux qui tentent d’arracher un glaçon sont foudroyés avant d’y parvenir. Puis, si par malchance un Grand-Prêtre perd son précieux glaçon, personne n’osera s’en saisir à moins d’avoir envie de voir celui-ci se transformer en serpent dont la morsure laisse une douleur affreuse pendant plusieurs heures. Les religieux n’utilisent jamais leurs pouvoirs sans que cela soit vraiment nécessaire car ce sont des pacifiques. Ces marcheurs vêtus de longues robes bleues recouvertes de symboles, n’ont même pas cherché à bâtir un local où ils pourraient enseigner à un groupe d’étudiants. Alors, ils discutent simplement en marchant. Il faut dire que cette attitude démolit la rumeur voulant qu’ils cherchent à contrôler le peuple comme un troupeau de brebis. En fait, ils ne possèdent aucun bâtiment où il serait possible d’y endoctriner un groupe de fidèles puisqu’ils se considèrent comme des guides et non des fonctionnaires d’une institution. Tout ce qu’ils possèdent finalement est un champ de maïs qu’ils cultivent eux-mêmes. Les Paysans savent qu’ils peuvent venir y chercher tous les épis qu’ils désirent puisque ces généreux agriculteurs aiment bien voir les enfants croquer avec appétit dans ces épis si longtemps inconnus sur Arkara. En réalité, le peuple raffole tellement de ce met que celui-ci est même devenu le plat principal dans leur menu quotidien.

Une découverte déconcertante attriste Dorgon et ses amis lorsqu’ils visitent la caverne du vieux chêne. Un Grand-Prêtre et son élève accompagnateur ont surpris des Paysans voilés de la tête aux pieds s’enfuir de la grotte à toutes jambes à leur arrivée inopportune. Par contre, ils n’ont pas eu le temps de cacher les objets qui prouvent qu’un rituel vient d’être pratiqué à cet endroit. Le religieux envoie aussitôt son élève avertir Adiech de la situation. Celui-ci revient en compagnie de Lemu, Phardate et Dorgon. Ils examinent une grande table sur laquelle se trouvent vingt statuettes noires placées en cercle autour d’un genre de cadran solaire. En réalité, il s’agit d’une roulette qui sert à désigner laquelle des figurines va devoir accomplir une mission. Phardate saisit une fiole pleine d’un liquide résineux qui pue terriblement. Dorgon en fait autant et la lance sur le mur de la grotte pour signifier ainsi qu’il n’a pas besoin de faire analyser cette substance pour en connaître son composé. Il explique son geste en disant qu’il vient de détruire une potion hallucinogène vraiment terrifiante puisque les mutants carnivores s’en servaient sur sa planète pour occulter leurs victimes pendant qu’ils les dévoraient car cette drogue rend celui qui la consomme tellement confus qu’il est complètement indifférent à ce qui se passe. Il ne réalise même plus ce qu’il fait et n’éprouve aucune sensation de douleur. Les carnivores jadis, enlevaient leurs victimes et les droguaient pour les empêcher de crier. C’est lui-même qui a fait détruire cette fleur appelée « Mudal » lorsqu’il devint le souverain de son royaume et n’hésite pas à dire que le seul à avoir pu conserver des graines de cette plante et les semer ensuite secrètement sur Arkara est Myotis. Cette fois-ci, Dorgon sait qu’il a trouvé un argument de poids pour confronter ce criminel. Lemu explore la caverne et découvre une autre statuette dont la tête est brisée. En l’examinant avec attention, il remarque qu’elle a été volontairement tranchée avec un couteau. Ce qui le blesse le plus, c’est d’avoir découvert celle-ci dans le crâne de l’enfant, l’unique vestige sans doute de l’époque archaïque. Les membres de la secte ont découpé soigneusement la calotte crânienne dans le but de cacher celle-ci sans se soucier de profaner la dépouille. Dorgon va faire obstruer cette caverne et envoyer dans un endroit sûr cette table et tous les autres objets. Mais auparavant, il veut en finir avec Myotis. Il l’accuse d’avoir cultiver cette fleur interdite sur Arkara et d’avoir également fabriqué cette drogue dans l’intention d’attirer les victimes et de les dévorer. Comme toujours, le mutant à tête de bouc garde un calme olympien. Il demande s’il est possible que des graines de Mudal se soient retrouvées dans les affaires personnelles de ses compagnons plutôt que dans les siennes? Pourquoi Bylis et Polar ne figurent-ils pas sur la liste des suspects puisqu’ils connaissent également la recette de cette potion? Sur ce point, Dorgon est obligé d’admettre qu’il est possible que des raisons mystérieuses poussent parfois les meilleurs sujets à commettre des actes peu honorables mais qui a bu boira et Myotis a déjà pratiqué le cannibalisme et ses autres compagnons, jamais! Mais, le mutant l’affronte en lui disant être scandalisé de se faire accuser sans preuve qu’à moins de prouver sans l’ombre d’un doute qu’il est le coupable de ce geste, surtout, demande-t-il à son souverain, comment il aurait pu cultiver cette fleur et en faire une potion s’il est toujours en compagnie de ses compères…ou presque? Le mutant à tête de bouc, une fois encore, échappe de justesse à toutes les accusations contre lui. Un être aussi méfiant n’a sûrement pas cultivé cette fleur lui-même; il laisse sûrement cela à quelques membres de la secte. Il a probablement donné aussi la recette de cette affreuse potion pour qu’elle soit réalisée par Alba. Donc, finalement, ce que le Grand-Prêtre et son élève ont vu n’était pas un rituel puisque celui-ci doit se pratiquer ailleurs, mais plutôt une rencontre pour déterminer au hasard lequel des fidèles aurait à boire la potion avant le prochain sacrifice. Il est évident que Dorgon souhaite voir Myotis se pendre lui-même en commettant une erreur monumentale. Il est le protecteur de la planète et non un justicier. Aussi longtemps qu’il ne peut prouver sa culpabilité, toute forme d’action contre lui risque de créer justement un jugement basé sur une hypothèse de culpabilité. S’il applique cela sur Arkara, c’est lui-même qui aura permis à la loi d’accuser quelqu’un sans preuve ou pire encore, déclarer un sujet coupable dès qu’il est soupçonné d’avoir commis un méfait. C’est tout un système de valeurs qui risque d’en être affecter.

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